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PLUS QU'UN JEU, SON METIER : LEAD AUDIO

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Etienne Marque dirige l’équipe audio du Studio d’Ubisoft Bordeaux depuis mai 2019. Il nous raconte son travail et les projets menés avec son équipe, et notamment le dernier en date : la création audio de la nouvelle expansion d’Assassin’s Creed Valhalla, prévu pour le 13 mai et intitulé La colère des druides.

Âgé de 35 ans, Etienne est Lead Audio à Ubisoft Bordeaux. Après une école de cinéma, spécialité travail du son, il entre à l'ENJMIN pour un master dans le jeu vidéo. Après un début de carrière en tant que Sound Designer, il a rejoint Ubisoft en 2019.

Ce qu'il aime : Faire de la randonnée dans la nature

Ce qu'il n'aime pas : Ce qui est trop complexe sans raison

TU AS COMMENCÉ TES ÉTUDES PAR UNE LICENCE EN CINÉMA, SPÉCIALISÉ DANS L’AUDIO. QU’EST-CE QUI TE PLAISAIT PARTICULIÈREMENT DANS LE SON AU CINÉMA ?

E. M. - J’ai grandi dans une maison où l’on écoutait beaucoup de musique, et j’ai toujours adoré le travail de l’imaginaire, écouter et raconter des histoires. Je suis donc naturellement tombé amoureux du cinéma en grandissant, et j’ai vite eu envie de travailler dans ce milieu. Je trouve plus simple de faire passer une émotion, de raconter une histoire avec des sons plutôt qu’à l’écrit ou à l’oral. J’ai donc fait une école de cinéma, spécialité travail du son. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la joie de la post-production, de récupérer des images pour créer des sons qui amènent quelque chose à la scène.

ET FINALEMENT, QU’EST-CE QUI T’AS EMMENÉ VERS LE JEU VIDÉO ?

E. M. - A la fin de mon école, à l’évidence, j’ai réalisé que le monde du cinéma était très difficile d’accès. J’étais relativement jeune, et je ne me sentais pas encore assez mûr pour rentrer dans le monde du travail. J’avais envie de continuer ma spécialisation, et en discutant avec des amis, j’ai découvert l’ENJMIN, qui est spécialisée dans les médias interactifs, et donc le jeu vidéo. C’était intriguant pour moi, parce que le travail du son est vraiment différent à cause de cette interactivité justement. J’ai donc fait un master là-bas, puis j’ai trouvé un travail qui faisait le pont entre mes deux diplômes, avec à la fois des projets de jeux vidéo mais aussi des projets de séries d’animation. J’ai continué à travailler comme Sound Designer dans différentes entreprises, et depuis deux ans maintenant, je suis Lead Audio à Ubisoft Bordeaux.

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QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES ENTRE LE TRAVAIL DU SON AU CINÉMA ET LE TRAVAIL DU SON DANS UN JEU VIDÉO ?

E. M. - Même s’il y a beaucoup de choses similaires, dans les outils utilisés ou la façon de traiter les sons, la principale différence concerne logiquement l’interactivité. Dans un média linéaire, comme un film, on pose les sons à l’image et on sait qu’ils interviendront toujours à un moment précis et déterminé à l’avance. Pour un jeu, on travaille dans le domaine des possibles, en imaginant et en anticipant ce qu’il pourrait arriver. Car c’est le joueur, même s’il est guidé, qui contrôle l’environnement, et donc l’environnement sonore. Prenons l’exemple d’une porte que le joueur ouvre pour sortir dehors. Il faut que l’on ait anticipé le son qui correspondra à la façon dont il va décider de l’ouvrir : à quelle vitesse ? Est-ce que c’est une porte qui grince ? Quels bruits extérieurs vont survenir ? Des voitures passent-elles dans la rue ? Toutes ces sources sonores doivent être traitées indépendamment les unes des autres pour les intégrer de façon fonctionnelle et cohérente.

Beaucoup de savoir-faire provient du cinéma, et d’ailleurs, on voit de plus en plus de jeux traités comme des films interactifs. Cela implique qu’il y a des codes culturels propres à cet art que l’on retrouve dans le jeu vidéo. Quand on voit un jeu ressemblant à un film, on s’attend logiquement à voir un rendu sonore similaire à ce qu’on trouve au cinéma. L’impact est là. Mais les jeux vidéo ont aussi de plus en plus d’influence sur le cinéma, ne serait-ce que sur le plan des technologies par exemple.

EN TANT QUE LEAD AUDIO, QUEL EST TON RÔLE AU SEIN DU STUDIO DE BORDEAUX ?

E. M. - Dans le cadre du jeu vidéo, au quotidien, le Lead est un peu le chef d’orchestre de l’équipe audio d’un jeu. Et à Ubisoft Bordeaux, dans l’équipe, on a des Sound Designers, des Technical Designers et des Voice Designers. Les Sound Designers travaillent sur la création et l’intégration des sons, qu’il s’agisse des ambiances, des effets spéciaux, ou des foley (les bruits liés aux mouvements du personnages). Les Technical Designers ont une connaissance très poussée des outils d’intégration des sons et se concentrent sur la partie technique (mise en place des systèmes, outils, etc). Et les Voice Designers travaillent sur les voix, humaines mais pas seulement. Mon travail à moi est d’encadrer ces différentes spécialités, de comprendre leurs besoins, ceux des autres équipes, et de les accompagner au mieux. Je m’assure que l’on va tous dans la bonne direction, que l’on est tous d’accord pour y aller, et que l’on a tous les moyens nécessaires pour y arriver. Et de temps en temps, je fais du son aussi !

EN ARRIVANT DANS LE MILIEU, EST-CE QUE TU T’ATTENDAIS À TRAVAILLER AVEC AUTANT DE MÉTIERS ET DE TECHNIQUES DIFFÉRENTES ?

E. M. - C’est vrai que l’on intervient partout, de l’animation à l’interface en passant par la narration, les ambiances, etc. Et cela nous demande de comprendre le fonctionnement et les contraintes de chaque métier impliqué dans la production du jeu. Je reprends l’exemple de la porte qui s’ouvre : il faut que l’on comprenne son fonctionnement technique pour lui attribuer la bonne série de sons. Il y a toute une réflexion derrière ce genre de travail qui est très intéressante et qui m’a fait basculer dans le jeu vidéo quand j’ai choisi ma spécialisation. C’est passionnant de chercher le bon son pour le bon mouvement au bon moment.

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« Sur cette photo, j'étais en train de faire la randonnée. Le son, c'est une passion avant d'être mon métier. J'enregistre tous les jours : si cela fait du son, je l'enregistre. J'aime bien faire l'analogie du potager. C'est toujours plus sympa de cuisiner ses légumes. Même chose pour le son. Si tu l'as enregistré, c'est tout de suite plus simple. Tu connais les sons, tu te souviens du jour où tu l'as enregistré, et de ce que tu ressenties et pensé durant la session. »

IL Y A UNE PHRASE QUE TU NOUS AVAIS PARTAGÉE ET QUE NOUS AIMERIONS QUE TU EXPLIQUES UN PEU PLUS EN DÉTAIL. TU DISAIS QUE SI LE SOUND DESIGN D’UN JEU EST BON, LE JOUEUR NE LE REMARQUE PAS. POURQUOI ?

E. M. - Là, pour le coup, c’est comme au cinéma. Ben Burtt, sound designer de Star Wars, disait à propos de son travail : « the most important thing you can do as a sound designer is to make the right choice for the right sound at the right moment ». « La chose la plus importante que vous pouvez faire en tant que sound designer, c’est de faire le bon choix du bon son au bon moment. » J’aime beaucoup cette phrase car on a tendance à vouloir faire très compliqué, en ajoutant tout un tas de sons, en les transformant, etc. Alors qu’il suffit parfois d’un son très simple posé au bon endroit. C’est vraiment le travail le plus compliqué dans le jeu vidéo à ce niveau-là : il faut déterminer le besoin et savoir si ce que l’on fait apporte quelque chose au niveau de la narration et du gameplay.

Et si le son est bien fait, cela veut dire que tu acceptes le monde dans lequel tu évolues, et donc que tu ne fais plus attention à ce que tu entends. Alors que si un son est mal posé, le joueur va tout de suite le remarquer, cela va sonner faux et l’effet voulu aura échoué. Cela doit paraître logique d’entendre un vaisseau passer au-dessus de notre tête si vous évoluez dans un univers de science-fiction. Et le travail de Ben Burtt a été incroyable à ce niveau-là : un bruit de pistolet laser aujourd’hui, on sait tous à quoi cela ressemble.

AVEC TON ÉQUIPE, VOUS AVEZ RÉALISÉ LE TRAVAIL SONORE DE L’EXPANSION 1 D’ASSASSIN’S CREED VALHALLA, « LA COLÈRE DES DRUIDES ». COMMENT S’EST DÉROULÉ CE PROJET D’EXTENSION DU JEU DE DÉPART ?

E. M. - C’était comme rajouter un chapitre à une histoire. Il fallait qu’on comprenne l’univers qui existe déjà, quelles sont les règles qui le régissent, et construire notre travail à partir des orientations choisies par le directeur audio du jeu, qui est basé à Montréal. On avait déjà travaillé un peu sur le jeu principal, mais la franchise était globalement un nouveau challenge pour les équipes. On a donc passé beaucoup de temps à apprendre comment fonctionnent les données sonores et les systèmes déjà implantés. On a ensuite créé nos propres sons, liés à l’extension et ce qu’elle raconte. Et forcément, il y avait plusieurs challenges : le temps que l’on avait, la nécessité de travailler avec les outils en notre possession, et le poids global de l’expansion. C’était essentiel de prendre en compte la taille de l’extension et la place mémoire à notre disposition. L’ajout des sons devait se faire sans mettre en péril l’équilibre du jeu.

COMMENT S’EST PASSÉ CE TRAVAIL EN PÉRIODE DE PANDÉMIE ?

E. M. - On a travaillé quasi essentiellement à distance. Il y a eu du positif et du négatif, comme pour tout le monde. L’aspect négatif, c’était d’être loin des équipes, ce qui est dommageable car on a vraiment besoin d’interagir, d’assister aux réunions, d’aller poser une question à un collègue à son bureau. C’est un métier très vivant, où l’humain est essentiel. Une autre grosse problématique qu’on avait, c’était la désynchronisation entre l’audio et la vidéo. Comme on travaille sur nos ordinateurs à distance, il y a une latence qui pouvait aller jusqu’à plusieurs secondes. Et quand on essaye de poser le son d’une épée que l’on dégaine, c’était parfois difficile de savoir s’il était bien calé sur le mouvement. Pour s’assurer que la synchronisation était correcte, on est donc revenu au bureau, en s’organisant bien sûr pour respecter les règles sanitaires en vigueur.

Dans les aspects les plus positifs, je dois avouer que travailler chez soi offre un cadre beaucoup plus silencieux. A condition bien sûr d’avoir un environnement de travail qui le permet. Mais pour des gens comme nous, c’est très agréable de travailler avec des enceintes plutôt qu’avec un casque. Le fait d’être à distance nous a aussi poussé à surcommuniquer, je dirais. On a créé plus d’occasions de discuter ensemble, et c’est un vrai point positif. Au final, on a vraiment trouvé un équilibre entre le travail à distance et le travail au bureau.

QUELS CONSEILS DONNERAIS-TU À DES ÉTUDIANTS QUI SE DIRIGENT VERS LE TRAVAIL DU SON DANS L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO ?

E. M. - En fait, je parle beaucoup de technique, et c’est important et intéressant d’un point de vue intellectuel, mais ce n’est pas le plus important. Car les outils, on peut toujours apprendre à les utiliser. Pour moi, il faut se demander ce que l’on veut faire entendre, il faut travailler son écoute. Quand on regarde un film ou qu’on explore un jeu vidéo, il faut prêter une oreille attentive à l’audio et se demander pourquoi tel ou tel son fonctionne ou non. Puis d’essayer de reproduire soi-même cette séquence pour s’entraîner, en aller capter des sons dehors, en testant des choses. Et ne pas être focus uniquement sur l’audio : il faut s’intéresser à tous les métiers, se poser des questions en permanence. Pourquoi ma porte, pour reprendre encore l’exemple, grince ? Pourquoi fait-elle ce son et pas celui-là ? Ce qui compte, c’est de travailler son oreille, abreuver sa passion, et écouter de façon consciente son environnement.